Suite et fin d’une série d’articles fruit de mes recherches et réflexions sur la distinction brand content et content marketing. Le premier de cette « trilogie » (et si on arrêtait d’assimiler le content marketing au brand content) était descriptif des différences (en pratique) existantes entre les deux notions. Le second (content marketing ou brand content, à présent il faut choisir) était davantage analytique des causes à l’origine de ces différences, la première d’entre elle (la plus structurelle) étant une différence de modèle économique affectée au contenu.
Dans ce troisième article, j’analyse la notion de brand content de manière autonome et pour ce que selon moi, le brand content est vraiment : une forme évoluée (plus « intelligente » car digitalisée) de publicité,
Suite et fin d’une série d’articles fruit de mes recherches et réflexions sur la distinction brand content et content marketing. Le premier de cette « trilogie » (et si on arrêtait d’assimiler le content marketing au brand content) était descriptif des différences (en pratique) existantes entre les deux notions. Le second (content marketing ou brand content, à présent il faut choisir) était davantage analytique des causes à l’origine de ces différences, la première d’entre elle (la plus structurelle) étant une différence de modèle économique affectée au contenu.
Dans ce troisième article, j’analyse la notion de brand content de manière autonome et pour ce que selon moi, le brand content est vraiment : une forme évoluée (plus « intelligente » car digitalisée) de publicité, développée par des médias en quête d’une évolution de leur modèle économique traditionnellement fondé sur la publicité, qui donne l’illusion d’une transformation digitale effectuée avec succès, alors qu’elle n’est en réalité que la première étape d’un processus de transformation qui devrait impliquer un utilisation beaucoup plus disruptive du contenu.
#1 Télévision et lobby de la publicité
Depuis l’émergence de la télévision jusqu’au début de l’ère internet, médias et agences de pub avaient conclu une sorte de pacte tacite, appliqué et suivi – faute d’autres alternatives – par toutes
les marques et qui pendant un temps, a fait gagner à tout le monde des milliards. Une sorte de loi de Paretto de la publicité qu’Andrew Davis dans son livre brandscaping avait d’ailleurs qualifié de loi des 80/20.
A cette époque, pour n’importe quelle marque ayant créé un produit ou un service, les barrières à l’entrée pour « communiquer » sur son existence étaient substantielles et vous aviez basiquement deux options toutes deux très coûteuses : créer une publicité ; et la diffuser sur les médias traditionnels (magazines print, TV, Radio, RP, etc.) alors peu nombreux, donc loueurs de leurs espaces à prix d’or.
La règle voulait que si vous affectiez 80% de votre budget dans les modes de diffusion de votre publicité et 20% dans le contenu, vous toucheriez le jackpot. Et à cette époque où le lobby de la publicité (que Seth Godin appelait d’ailleurs le « TV industrial complex ») régnait en maître, c’était vrai.
A cette époque, il « suffisait » d’une pub un peu créative et de sa diffusion en masse sur les quelques canaux de distribution existant et tout le monde (agences de pub, agences médias, médias et annonceurs) raflait la mise. C’était le temps de l’âge d’or de la télévision, de la publicité – et du mass-market. Et celui ou l’essentiel des budgets marketing était affecté à de la location d’espace, à du temps de diffusion.
L’époque ou l’air valait très cher…
#2 Révolution du contenu
Puis vint internet. Exit l’âge d’or. Place à la révolution, celle dont le cœur n’est QUE contenu.
-
Nous sommes tous des médias
Les barrières technologiques de l’époque qui séparaient les médias traditionnels du reste du monde ont sauté les unes après les autres. Est-il encore opportun de faire de la pub dans un magazine pour vous faire connaitre de votre cible lorsque vous n’avez qu’à créer votre propre blog et engager la conversion avec votre audience ? Est-ce bien sérieux de dépenser des fortunes dans un spot TV quand vous pouvez en quelques clics et gratuitement, créer vous-même votre propre chaîne télé et créer librement vos contenus ? Est-ce bien raisonnable de payer à des tarifs prohibitifs du temps limité de diffusion sur les ondes pour parler de vous, quand vous avez désormais la possibilité de créer votre propre émission de radio en quelques clics et échanger directement avec votre audience ? Et ainsi de suite…
-
La fin de l’ère du « vu à la télé »
Internet a quasiment remplacé la télévision, reléguant cette dernière à un objet parfois design et souvent décoratif du salon faisant ponctuellement office de home-cinéma. Google quant à lui, a démocratisé à vie l’accès à la publicité. Pour quelques dizaines d’euros et en quelques clics, n’importe qui peut aujourd’hui créer sa propre pub, la modifier en temps réel et la diffuser immédiatement sur des milliards des pages web. Lorsque Google a ouvert les vannes de l’information mondiale, en même temps que le web est devenu obèse, celui du coût de la location de l’espace virtuel a subit une diète sévère : le coût de location de l’espace digital est devenu dérisoire et avec lui, l’efficacité de ses publicités, réduite à peau de chagrin. Imaginez un instant si sur la portion du périphérique qui vous emmène de chez vous à votre bureau, au lieu de la trentaine de panneaux d’affichages extérieurs 4X3 habituels, vous voyiez surgir du jour au lendemain un millier de panneaux entassés les uns à coté des autres. Y-verriez-vous encore franchement quelque chose ?
-
Le R.I.P (Rest In Peace) du RP
L’ancien R.P aussi a disparu. Celui/celle qui vendait à prix d’or son « carnet d’adresse », l’intermédiaire incontournable et hors de prix qui permettait de faire entendre votre voix et les valeurs de votre marque, lui aussi a sauté. Notre ère est désormais celle de la plateforme qui met directement en relation l’offre et la demande – et dirige tranquillement mais surement l’intermédiaire vers la sortie …
Oui, la révolution du contenu a fait surgir quelque virus… parmi les plus connus banner blindness ou adblock (pour ne citer qu’eux), tous deux fortement contagieux.
Une plaie pour les médias. Un sérieux problème pour la dream-team « médias / agence » urgemment invitées à repenser leur modèle économique traditionnellement fondé sur la publicité. Une sacrée opportunité pour les marques – que l’on aurait raison de ne plus réduire à de simples « annonceurs » (terminologie quand tu nous tiens…) pour les qualifier désormais de « médias ». Et une invitation inéluctable de chacun à faire une utilisation inversée de la règle des 80/20.
#3 Quel modèle économique pour le contenu : publicité ou abonnement ?
L’accès à la propriété médiatique étant désormais démocratisée, le contenu a changé de modèle économique.
Il est n’est plus cantonné à être l’objet conçu par un département comm° ou marketing venant orner l’espace média loué à prix d’or par les marques pour cibler tous azimuts des prospects éventuels. Il est désormais l’actif dans lequel l’entreprise a la possibilité d’investir pour créer sa propre audience de lecteurs engagés, convertissables non plus seulement en clients mais en fidèles ambassadeurs de la marque.
Oui le rapport s’est inversé : logiquement, le choix smart devrait être d’investir 80% dans une ligne éditoriale parfaitement ciblée, dans la création d’un contenu exceptionnel destiné à pourvoir les besoins informationnels d’une audience de « lecteur/consommateurs » que nos produits ou services ont vocation à satisfaire. Autrement dit, d’investir 80% de son budget dans un contenu dont l’objet sera de doter la marque de sa propre audience pour qu’elle en soit pleinement propriétaire ; et d’affecter les 20% restant dans les canaux de distribution de ces contenus en faisant de la publicité sur le contenu – et non plus sur le produit.
Cet inversement de rapport dans l’affectation des budgets marketing a aussi imposé à tout le monde de repenser ses compétences :
- Quand pendant l’âge d’or de la publicité il était principalement demandée aux agences d’être créatrices, il leur est aujourd’hui demandé de savoir-faire principalement des maths, interpréter des datas, pondre du dashboard et autres extract excel (aka « programmatique »).
- Quand la mission première du média était prioritairement de traquer l’info puis de la délivrer avec neutralité (mission du média traditionnellement financée par la publicité) c’est désormais à à ce même média qu’il est aujourd’hui demandé d’être créatif et de mettre à disposition des compétences journalistiques au service des marques.
- Quant aux marques justement, elles sont désormais contraintes de s’adjoindre les compétences de marketeurs contraints eux-aussi, de réinventer leur métier. Exit la bonne vieille méthode du 4P des cours traditionnels de marketing. Le marketeur de 2017 doit être tout-terrain et multi-tâche : storyteller, journaliste, data-analyst et expert du digital tout court. Mission pas simple, mais obligée.
Pendant cette époque de l’âge d’or de la publicité, l’actif bilantiel d’un média était composé pour petite partie de la valeur liée à sa base d’abonnés et principalement par sa trésorerie, grassement alimentée par la publicité. J’ai grandi au sein d’une famille d’entrepreneur des médias et de la publicité et j’ai un souvenir très net de LA leçon martelée à chaque repas où il était question de marketing, média, pub et annonceurs : « la valeur de ta marque média se développe grâce à tes abonnés, mais le flux d’argent (celui qui permet de payer les factures et paies des journalistes à la fin du mois) vient de la publicité ».
Aujourd’hui, il devrait donc être fait un usage inversé de cette règle des 80/20. Le flux d’argent généré par la publicité traditionnelle s’amoindrit au profit de la croissance, inversement proportionnelle de la valeur de la base abonnée. Un modèle économique de l’abonnement qui, dans sa version digitalisée et big-data, reprend de saines couleurs !
Pour autant, dans les faits, la règle des 80/20 s’est-elle réellement inversée ? Non.
Elle subsiste aujourd’hui sous la forme du brand content.
#4 Transformation digitale des médias ? En progrès (brand content) …
En l’état du paysage médiatique français, ces offres de brand content sont pourtant les seules offertes par les médias et sont censées démontrer qu’ils ont correctement effectué leur transformation digitale. Les opérations de « brand content » sont ainsi celles louées par des médias à des marques un poil flemmardes de le faire elle-même, leur compétence éditoriale et leurs espaces (print ou digital) le temps de campagnes ou opérations événementielles digitalisées (Ex : le nombre pléthorique « d’agences de brand content » développées par les médias français traditionnels comme par exemple celle du Parisien et des Echos fusionnée d’ailleurs sous l’égide de la Régie publicitaire teammedia, ou encore celui de la création récente par Largardère de l’agence Les Infiltrés).
En effectuant ce tiède changement vers le brand content au lieu d’un plongeon franc dans les eaux certes plus fraîches du content marketing, les médias ont finalement laissé la porte ouverte à un genre hybride d’agence type Webedia (un peu agence, un peu média, un peu techno) qui développent des pools d’audiences sur des industries données (donc ont créé elles-aussi leurs propres médias) et monétisent doublement en vendant à des marques évoluant sur cette même industrie à la fois leurs compétences liées au contenu digital pour les aider à en créer pour elles-mêmes ET l’espace pour les distribuer de manière ciblées (notamment par le biais de leurs influenceurs).
Dommage.
Dommage, car le brand content n’est finalement que le Canadry de la publicité (pour le coup, vous souvenez-vous de la pub? / quand ça a le goût de la pub, que ça ressemble à de la pub … comment appeler ça autrement que de la pub ?) alors qu’il ne serait pas si compliqué ni coûteux d’innover pour aller plus loin.
#5 … mais peut mieux faire (content marketing)
Projetons-nous un instant et imaginons à quoi ressemblerait (au moins en théorie) une transformation digitale des médias parfaitement aboutie et une application inversée, par les médias comme par marques, de la règle des 80/20.
Ce que les médias savent par nature faire de mieux et mieux que tout le monde, c’est créer des contenus suffisamment attractifs pour développer une base de lecteurs abonnés fidèles. De leur coté, les marques devraient avoir elles-aussi pour objectif prioritaire de créer leur propre base d’abonnés fidèles à leur contenu, car en elle-seule se trouve en germe ses futurs clients durables et récurrents. A long terme donc, la véritable option viable s’offrant à chacun serait pour les médias de « vendre » vraiment cette expertise liée au contenu, en formant les marques au content marketing pour leur permettre d’apprendre à concevoir et implémenter elles-mêmes leurs stratégies de contenu – et pas seulement de la louer ponctuellement par le biais d’opérations de brand content. Un mix gagnant qui permettrait d’optimiser le court-terme en continuant à prendre l’argent là où il se trouve avec le brand content – tout en préparant le long terme (la mutation obligée d’ici quelques années) en formant au content marketing.
C’est très précisément ce qu’à fait le New York Times opérant intelligemment sa bascule digitale en deux temps : à court-terme, en continuant de surfer sur un modèle publicitaire digitalisé en élaborant son offre de brand par leur Brand Studio, mais également en semant dès aujourd’hui, les graines de son modèle économique de demain notamment en s’adressant cette fois-ci non plus à la marque/annonceurs mais à la personne de l’entrepreneur ou du marketeur en lui proposant de le former au content marketing. Ce que le New York Times a fait en créant « The School of The New York Times » qui délivre des certificats de content marketing.
#6 La vraie transformation digitale d’un média ça ressemblerait à quoi ?
Pour conclure, posons la question directement : un média qui aurait pleinement effectué sa bascule digitale ça proposerait quelles offres concrètement ? A mon sens, elles seraient fondée sur deux piliers stratégiques.
- Celui de la formation (payante) des marques (donc des marketeurs et entrepreneurs) à faire elles-mêmes, en interne, ce que seuls les journalistes faisaient jusqu’ici : créer des contenus auxquels les gens ont envie de s’abonner. Il y a là aussi une mutation profonde à attendre sur la formation des marketeurs d’aujourd’hui. La création assez récente de l’école W, école dont l’objet est de former les journalistes de demain aux métiers du contenu digital est une bonne première initiative. Mais le fait qu’elle soit une émanation du Centre de Formation des Journalistes est la preuve d’un maintien persistant dans une logique de location des compétences du journaliste et de l’espace média – et non d’une réelle mutation du rôle (et du pouvoir) du journaliste et d’un transfert de compétence vers les marques.
- Celui de l’accès (payant) à de supers-influenceurs prescripteurs de tendances et d’opinions – et non plus seulement à des journalistes rapporteurs d’informations. L’évolution économique est connue et fonde l’explosion du marketing d’influence : les gens n’achètent plus ce que la publicité promet. Ils achètent ce que leurs amis et les influenceurs de leur industrie leurs recommandent. Quant aux journalistes, désormais dotés de leurs propres émissions où ils expriment leurs opinions (en mode « C’est à vous », « c’est dans l’air », etc.) et conversent avec l’audience, ils sont finalement devenus des supers-influenceurs. Tantôt de l’industrie de l’information politique quand ils s’expriment sur le sujet (l’un des exemples flagrants fut au cours de la dernière élection présidentielle d’Emmanuel Macron), tantôt dans l’industrie de la beauté comme c’est déjà le cas par exemple des journalistes de Elle devenues de véritables prescriptrices de tendances et de beauté ou demain encore, sur n’importe quelle autre industrie.
A quand donc, le jour où les médias se doteront (aussi) d’un chief content officer et d’une vraie stratégie de content marketing. Pour eux-mêmes, autant que pour les marques grâce auxquelles ils vivent ?
Article intéressant qui ouvre des pistes de réflexion. Je ferai juste 2 remarques : les PR n’ont jamais créé et diffusé de pub(on atoujours fait ce que les marketeurs appellent aujourd’hui « storytelling, contenu … ». Par ailleurs « les plateformes qui mettent directement en relation l’offre et la demande » ne fonctionnent pas. J’obtiens régulièrement plus de « retombées presse » que les « wires » et les journalistes ne sont qu’un % a « plébisciter » ces plateformes ou celles où l’on s’inscrit pour être en relation avec des marques ou PR… Pourquoi ? peut-être que parce que l’humain est plus que jamais fondamental dans un monde de digitalisation à outrance… Merci Karine pour cet article et ce point de vue
Merci pour ce commentaire Catherine :). Oui, tu as parfaitement raison de rappeler que les « RP n’ont j’amais créé ni diffusé de pub ». Mon point était surtout de souligner qu’ils étaient un maillon incontournable de la chaîne et du triptyque « agences/annonceurs/médias », un personnage clé de la réussite de ce modèle – et en son temps, un personnage très coûteux. Quant à mon expression le « RIP du RP » elle était, j’en conviens, un brin polémique et je m’en excuse. Sur le fond, nous sommes 100% d’accord. En évoquant la disparition de l’intermédiaire RP, je ne faisais que constater un phénomène qui touche à mon sens absolument toutes les industries, sans exception : le disparition des intermédiaires en général (immobilier, automobile, beauté, prestations de services lambdas, etc.) est un phénomène économique majeur conséquence directe de la digitalisation de nos vies et du pouvoir des GAFA. Dans ce post je n’ai pas évoqué LA conséquence de ce constat (et c’est là que je te rejoins totalement) : plus nos vies se digitalisent et plus nous vivons « connectés » à des plateformes, plus que jamais le lien humain, la rencontre IRL devient le but ultime, le Saint-graal. Je suis à ce point d’accord avec toi que je pense au fond que c’est même LA vraie valeur ajoutée du content marketing : permettre une utilisation maximale du digital le plus en amont possible pour aller le plus loin possible dans la création du lien avec son futur client – qui sera couronnée de succès « business » précisément le jour ou il y’aura rencontre « pour de vrai ». C’est d’ailleurs bien tout le paradoxe de ce monde virtuel dans lequel nous vivons : son seul objet véritable au fond, est de préparer virtuellement la concrétisation de belles rencontres et fructueuses rencontres (lorsqu’il est question de commerce) dans le monde réel ;).
Article fort intéressant et édifiant. Merci de votre éclairage… éclairé. Attention toutefois à ne pas enterrer trop vite la Tv qui demeure encore un influenceur de taille (taux influence de 37%,selon Google itself) ses mutations en connectée, connectable, social TV, catch up et autres dérivés (pour data-traquer et auto-ajuster le message à l’audience) prouvent qu’à défaut du contenu, l’adaptation aux formats et aux nouveaux usages lui garde une place de choix.