Petite onde de choc dans l’écosystème feutré du content marketing. LE postulat fondant tout le « pourquoi » du content marketing, celui en vertu duquel les marques doivent devenir des médias, vient tout juste d’être remis en cause, et pas par n’importe qui. Par Olivier Binisti.
Olivier Binisti est en effet un peu notre « Joe Pulizzi » à nous, marketeurs français. Même démarrage dans l’industrie de l’édition print que le fondateur du Content Marketing Institute, même vision avant-gardiste du contenu comme celui de l’outil indispensable du marketing digital – le tout à la même époque (aux environs des années 2000) autrement dit lorsque Google n’avait que 2 ans à peine … Visionnaire. Après avoir fait ses débuts dans le digital chez les Editeurs print (Editions Nathan,
Petite onde de choc dans l’écosystème feutré du content marketing. LE postulat fondant tout le « pourquoi » du content marketing, celui en vertu duquel les marques doivent devenir des médias, vient tout juste d’être remis en cause, et pas par n’importe qui. Par Olivier Binisti.
Olivier Binisti est en effet un peu notre « Joe Pulizzi » à nous, marketeurs français. Même démarrage dans l’industrie de l’édition print que le fondateur du Content Marketing Institute, même vision avant-gardiste du contenu comme celui de l’outil indispensable du marketing digital – le tout à la même époque (aux environs des années 2000) autrement dit lorsque Google n’avait que 2 ans à peine … Visionnaire. Après avoir fait ses débuts dans le digital chez les Editeurs print (Editions Nathan, Larousse, Le Robert, etc.) il créé dans les années 2000 l’une des toutes premières agences de production de contenu (Bilkis). En 2008, l’agence Nurun (depuis lors rachetée par Razorfish) lui propose de prendre la tête de la première « business unit content » de l’agence. Il est aujourd’hui Senior Digital Strategist chez Adobe.
J’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec Olivier début janvier. Nous avons abordé de nombreux sujets clés du content marketing et parmi eux naturellement, celui des marques « obligées » à une transformation en média. Dans le prolongement de notre échange, Olivier a publié un article sur le blog d’Abode le 28 janvier dernier reprenant cette même idée. Nous publions ici l’interview au cours duquel il avait développé en détail son point de vue : non, les marques ne doivent pas devenir des médias.
La citation « brainstorming » : « Pour une marque, choisir des mots, c’est construire son univers ».
La p’tite phrase qui tue : « Je serai d’accord avec le postulat si demain le Red Bulletin (magazine de Red Bull) contient de la pub pour Coca-cola ! »
K. A. : Vous ne semblez pas en phase avec ce postulat fondateur du content marketing dont vous avez pourtant été un des tous premiers porte-parole en France, postulat selon lequel « les marques doivent se transformer en médias ». Pourquoi ?
O.B. : Non effectivement je ne partage pas cette opinion et cela ne date pas d’aujourd’hui. La première fois que j’avais développé ce point de vue j’étais chez Nurun (depuis devenu Razorfish) et je répondais à un gros appel d’offre ou l’on m’avait posé la question « pensez-vous que notre marque doit devenir un média ? ». A l’époque je leur avais répondu « tout dépend de ce que vous entendez par média ».
Lorsque les gens évoquent les médias ils font essentiellement référence à la « presse » – en somme « nous sommes devenus la télé ! ». Dans cet esprit-là, l’objet de la création des contenus, devient : « nous allons donc créer du contenu pour diffuser en permanence, pour faire du flux et du flux et le diffuser en continu ». C’est très souvent comme cela que les clients l’entendent en France.
Je ne l’entends pas de cette manière. Selon moi, être un média n’implique pas uniquement de la production de contenus et de la diffusion de flux. Etre un média c’est accepter de s’inféoder à des règles juridiques et déontologiques précises, notamment liées à un principe de neutralité et de retranscription d’une information strictement objective. Dans cette perspective, lorsque je diffuse de l’information, j’évoque plusieurs marques – et non une seule.
Surtout, être un média implique bien sûr d’accepter la publicité de marques concurrentes. Et c’est là un des critères de distinction essentiels à mon sens entre une « marque-média » et un « vrai » média.
Naturellement, les marques peuvent (et même doivent) devenir des productrices et des diffuseurs de contenus. Je suis parfaitement d’accord avec cette partie du postulat. Mais ce qui constitue un média est différent de ce qui constitue une marque. Si je suis Conforama et que demain je décide de faire la pub dans le magazine de Leroy Merlin, je ne suis pas certaine que Leroy Merlin sera d’accord. Alors qu’à l’inverse, si je suis Canal + et que je décide de faire la pub sur TF1 ou sur France 2, la régie aura « l’obligation » d’accepter. Il s’agit d’une différence non négligeable qui empêche le raccourci un peu trop simplificateur à mon sens du « les marques doivent devenir des médias ».
K. A. : En somme, vous dites que le modèle économique du média doit rester la publicité tandis que par nature, une marque qui devient un média a la chance, elle, d’avoir déjà trouvé son modèle économique ?
O. B. : En fait, je fais plus référence aux règles déontologiques et aux contraintes légales que réellement au modèle économique. Je connais moins bien le modèle américain que le modèle français mais malgré tout je présume que si sur la chaine Fox news on diffuse des reportages d’actualité dans lesquels on montre toujours des produits issus du groupe Fox en détournant pour ce faire la réalité de l’actualité, des reproches seront très certainement formulés tant de la part de l’audience que de celles des autorités régulatrices audiovisuelles ?
En revanche, si dans le Red Bulletin, le média de Red Bull, on ne parle que de Red Bull, personne ne viendra reprocher quoi que ce soit à Red Bull. Ces nouvelles « marques médias » n’ont pas les mêmes contraintes déontologiques ou légales de devoir communiquer sur les autres, y compris sur leurs concurrents. Et lorsque l’on fait du placement de produits dans un média, tout ceci est extrêmement contrôlé.
KA : Le sujet que vous soulevez était un des points critiques qui avait été évoqué très longuement pendant la conférence du Geste à laquelle j’avais eu la chance d’être speaker. De nombreuses personnes avaient alors évoqué que, si demain, tel média lancé par telle compagnie d’assurances produit et diffuse des contenus sur la qualité de l’eau, l’utilisateur/lecteur restera somme toute, toujours sur ses gardes car en les lisant, il s’interrogera toujours sur la fiabilité des informations diffusées par la compagnie d’assurances en question. Le lecteur pensera ainsi ne jamais avoir la même garantie de neutralité des contenus à laquelle il pourrait prétendre en lisant un média « normal ».
O.B. : Exactement. Et soyons clair, il n’en aura aucune. Il y a quelques années, je travaillais pour des marques à la fois avec des rédacteurs et des journalistes (donc des univers différents). Je rappelais alors fréquemment aux journalistes qui travaillaient pour nous « attention vous faites un contenu pour une marque ». Certains journalistes avaient d’ailleurs du mal à devenir subjectifs. Or c’était précisément ce que l’on attendait d’eux. Lorsque je produis un contenu pour une marque, je suis contraint d’être subjectif. Lorsqu’en revanche, je produis un contenu pour un média, je suis soumis à une objectivité voire une obligation de neutralité. Un exemple me vient à l’esprit. A l’époque nous travaillions pour une entreprise de l’industrie du nucléaire. L’une des directives éditoriales que nous avions établies était ainsi de ne pas utiliser l’expression « énergie nucléaire » mais celle « d’énergie sans carbone » car elle suscitait moins de crainte …
Je vais peut-être paraitre très philosophique mais pour une marque, choisir les mots qu’elle va utiliser, c’est construire son univers. Choisir la façon dont vous allez vous exprimer, c’est construire le monde que vous voulez proposer. C’est choisir votre vision. Même si les médias ne sont pas toujours complètement neutres, ils ont en tous cas pour principe directeur de l’être. La majorité des informations que l’on trouve dans les médias est ainsi plutôt objective. Lorsque je suis une marque, je ne suis absolument pas soumis à ce type d’obligation de neutralité.
C’était la raison pour laquelle au début lorsque j’ai commencé dans cette industrie du contenu, nous produisions des chartes éditoriales. L’idée était de donner des consignes d’écriture, de choix des termes clés, de style, de tonalité éditoriale. Nous prônions d’utiliser tel mot plutôt que tel autre car l’idée était de proposer une vision de ce que la marque faisait, vision que nous souhaitions pousser auprès de l’audience. Le choix du champ lexical caractérisant l’univers de la marque était donc essentiel (quels mots choisir, quelles phrases construire, quelle utilisation en faire, etc.).
De toute évidence, vous n’imposerez jamais cela à un journaliste d’un média.
KA : Mais dans ce cas, dans quelle catégorie rangez-vous des exemples tels que le Furrow Magazine aux Etats-Unis (magazine professionnel à destination des agriculteurs) ou en France celui du Guide Michelin dont l’objet initial était d’inviter le lecteur à « faire de la route donc à consommer du pneu », qui sont sans doute les deux exemples les plus aboutis et réussis de marque transformée en média ayant acquis, chacun dans leurs domaines, une légitimité éditoriale aujourd’hui incontestée voire sont devenus de vraies références ?
O.B. : Le cas Michelin est effectivement un superbe exemple. Toute l’idée derrière était « comment je crée un contenu qui va inciter mes lecteurs à rouler ». Ce sont effectivement des exemples qui démontrent que le contenu produit et diffusé par la marque est devenu suffisamment intéressant, riche et varié pour devenir légitime, pour inciter le consommateur à se dire « cette information est réellement passionnante, je n’y avais jamais eu accès auparavant. Il est à ce point intéressant que je souhaite consommer ce contenu en tant que tel, pas parce qu’il est poussé par telle ou telle marque ». Votre remarque est très juste. Mais ce que je crains est qu’il n’y ait tout de même pas tant d’exemples que cela existant aujourd’hui.
Par exemple, le Red Bulletin, magazine souvent proposé avec l’Equipe, est très bien fait, sans doute un des meilleurs exemples actuels de très bon content marketing, certes. Mais on ne va y parler que de la place de Red Bull en France, à New York, en Autriche, ou des équipes uniquement sponsorisées par Red Bull. Or, dans le cas de Michelin que vous citez, je ne pense pas qu’il soit fait nulle part mention de pneus.
J’ai envie de vous dire finalement que je serais d’accord avec ce postulat en vertu duquel les marques doivent devenir des médias si demain, le Red Bulletin accepte de faire de la publicité pour Coca-cola par exemple !
Cela serait en effet l’aboutissement ultime. Dans le cas de Michelin, les contenus sont devenus tellement intéressants (et le point fort se situe à ce niveau) qu’ils en sont devenus éditorialement très légitimes. Ce qui a fait l’intérêt et la notoriété du contenu du Guide Michelin c’est d’avoir travaillé pendant des années pour générer un contenu honnête, transparent et qui suscite la confiance tant des restaurateurs que des consommateurs. Une prouesse éditoriale en somme.
Si je transpose cette réussite, pour le Red Bulletin (ce serait la même pour une autre marque – j’ai cité Leroy Merlin par exemple), l’aboutissement à terme serait d’avoir réussi à générer un contenu à ce point intéressant que le lecteur ne lirait plus seulement le Red Bulletin parce qu’il est couplé à l’Equipe, mais qu’il en arriverait à acheter l’Equipe pour pouvoir lire le Red Bulletin. Et par voie de conséquence, si moi Coca-cola je veux m’adresser à la cible lectrice du Red-bulletin (qui ont en commun d’aimer et de boire des sodas) je serais prête à payer Red Bull pour faire de la publicité chez eux. On assisterait alors à l’achèvement complet de la stratégie média de Red Bull. La boucle serait bouclée en quelque sorte. Et là oui, on deviendrait un média. Un vrai média.